Dominique Gaucher

La représentation du corps en peinture comme l'interrogation de la relation du pouvoir à l'identité

Je peins des corps soumis à des contraintes, parce que je crois qu'une grande partie des contraintes auxquelles nous nous soumettons volontairement ou non se répercutent et se et se manifestent dans le corps. Certaines limites sont inhérentes à sa soumission obligatoire aux lois naturelles. D'autres sont imposées de l'extérieur par des règles, des lois, par le contexte social. Intériorisées, ces contraintes sculptent et transforment le corps qui les enregistre.

Comment les rendre visibles sans les illustrer? Comment rendre visibles des forces invisibles comme la sensation de surprise et de vertige vécue lors de la chute? Comment rendre visible la sensation d'impuissance ou d'isolement, voire de claustration? Une partie de la réponse vient de la transposition sur le plan pictural des forces et des contraintes qui s'opposent au corps et qui tentent de le faire disparaître.

D'abord, le corps s'offre à moi comme un fait réel que je peux soumettre aux limites inhérentes au tableau. C'est du moins ce que je tente de faire : faire s'entrechoquer la réalité du tableau avec celle de la figure. Dans cette relation de réciprocité, la figure met en évidence l'aspect matériel du tableau qui, en retour, désigne la charge sensitive ou psychologique de la figure, la fait naître, sans annuler ce que la peinture fait par elle-même. Donc, j'essaie de trouver des zones de contact entre ces deux réalités.

- Une figure aux dimensions rigoureusement réelles, sans choix arbitraire d'échelle, sans déformation dues à la perspective, comme s'il s'agissait de son transfert sur une planche contact photographique.
- L'épaisseur de la couche de peinture dont on pourrait dire qu'elle a aussi une profondeur.
- Les limites bidimensionnelles d'une toile déterminées par la figure.
- Un cadre mettant ces limites en évidence.

Ce sont les données rudimentaires du tableau auxquelles j'ai essayé de m'astreindre pour m'éloigner du figuratif, sans toutefois m'éloigner de la figure, évitant ainsi qu'il ne se crée une figuration, une narration. S'il est resté une trace de cette narration, elle s'est retrouvée dans l'interaction entre la figure et les caractéristiques physiques du tableau, sa surface, ses limites. Chacun de ces éléments pris séparément est neutre. Aucun d'eux n'est la représentation d'un événement violent ou n'est violent en soi. Mais, mis ensemble dans un rapport serré, ils agissent comme autant de «faits», autant de forces qui, en s'opposant l'une à l'autre se mettent réciproquement en évidence. Au moment où certaines parties du corps débordent pour s'en défaire, elles intensifient la présence du cadre. Inversement, le cadre amplifie l'existence du corps au moment où il se referme sur lui pour le faire disparaître.

Directeur de recherche : Jean-Pierre Gilbert